La cure psychanalytique prend naissance dans le dispositif de parole inventé par Freud à la fin du XIXe siècle, pour répondre à la souffrance de patients confrontés à des symptômes corporels ou psychiques inexplicables. En introduisant la possibilité de parler librement, Freud a permis à certains sujets, à travers une parole singulière et non dirigée, de produire des énoncés porteurs d’effets de vérité sur leurs symptômes. Ce processus marque l’entrée dans le champ de l’inconscient, dont la parole est la voie royale.
Mais le point de départ véritable d’une cure, au-delà de l’installation du dispositif, c’est le transfert. Une cure ne s’ouvre que si l’analysant, porteur d’une énigme intime, adresse sa parole à un analyste qu’il suppose porteur d’un savoir, un savoir sur son mal, même si ce savoir est en creux. L’analyste, désigné parmi d’autres, se retrouve ainsi investi d’une fonction particulière : celle de sujet supposé savoir. Il ne s’agit dès lors pas simplement d’écouter, mais de ne pas faire obstacle à l’expérience analytique, de maintenir ouvert l’espace où peuvent surgir des vérités inconscientes.
Au fil du temps, confrontés à ce qui résiste au déchiffrage — la part de jouissance irréductible du symptôme, son caractère incurable — nombre de disciples de Freud ont cherché des voies alternatives, s’éloignant peu à peu de l’expérience analytique originelle. Jacques Lacan, à partir des années 1950, entreprend de recentrer la psychanalyse sur l’inconscient structuré comme un langage, en restituant au discours et à la fonction de la parole toute leur portée clinique et théorique.
Dans cette orientation, l’analyste n’est ni un éducateur, ni un guide de conscience, ni un thérapeute par suggestion. Il agit à partir de sa propre traversée de l’analyse, éclairée par le contrôle. Il ne dirige pas, mais soutient les effets du transfert, se prêtant à l’image que l’analysant projette sur lui : celle d’un lieu où loge une part perdue de lui-même. Il rend alors possible, par l’interprétation, l’acte analytique, et un maniement rigoureux du cadre, une lecture nouvelle des formations de l’inconscient : lapsus, rêves, oublis, mais aussi symptômes et fantasmes.
L’enjeu devient alors de desserrer les identifications figées, de déplier le scénario fantasmatique dans lequel le sujet est pris, et d’opérer un déplacement de son rapport au désir et à la jouissance.
Dans la suite de son enseignement, Lacan interroge de manière plus radicale le statut de la vérité et du langage. Il souligne que la parole elle-même est porteuse de jouissance : le sens n’est pas neutre, il fait symptôme. La cure peut ainsi devenir, si elle n’est pas rigoureusement menée, un nouveau mode de jouir de l’inconscient, ce qui rend la question de la fin de l’analyse particulièrement délicate. Il ne s’agit plus seulement d’un allègement des symptômes, mais de viser ce qu’il nomme « l’os de la cure » — le noyau réel du symptôme, ce qui ne se résorbe ni dans le sens ni dans le savoir.
C’est dans ce moment de réduction, d’élucidation et de traversée, que l’analyse trouve son terme. Non dans une guérison classique, mais dans une invention subjective : la trouvaille d’un savoir-faire singulier avec ce reste qui fut symptôme, permettant à l’analysant de se réapproprier sa division, et de construire une solution sur mesure, hors du prêt-à-porter de la norme.