Existe-t-il une fin de l’analyse ?

À la fin de sa vie, Freud consacre un texte fondamental à la question de la fin de l’analyse. Il y interroge la possibilité même d’un terme à l’expérience analytique, après des décennies consacrées à en explorer les détours, les impasses et les effets.

Une fin insaisissable

Dès l’ouverture, Freud constate que ni l’analysant ni l’analyste ne parviennent facilement à mettre un terme au processus engagé. Il compare la fin de l’analyse à un saut unique : « le lion ne bondit qu’une fois ». Une fois le transfert instauré, l’expérience suit son cours propre, difficile à baliser d’avance.

Au fil de l’histoire de la psychanalyse, des tentatives ont été faites pour raccourcir la durée des cures. Freud lui-même avait essayé de fixer un terme, mais il reconnaît que cela produit souvent un effet inverse : sous la pression du temps, une partie du matériel inconscient reste enfouie, inaccessible. La précipitation ne permet pas à la vérité de se dire, ni au sujet de s’y confronter pleinement.

Deux sens de la fin

Freud distingue deux significations possibles de la « fin » de l’analyse. Dans un sens pratique, l’analyse peut être dite terminée lorsque l’analysant n’est plus accablé par ses symptômes, qu’il a traversé ses inhibitions et que l’analyste estime que l’essentiel du refoulé a été levé, les résistances suffisamment travaillées. Cette fin est relative, souvent suffisante, mais jamais absolue.

Mais il évoque aussi une fin plus ambitieuse, presque utopique : une cure qui parviendrait à dissoudre tous les refoulements, à combler toutes les lacunes mnésiques, à abolir tout retour du symptôme. Cette fin-là relève d’un idéal qui se heurte à une limite structurelle : il reste toujours un résidu — une part de jouissance, un noyau irréductible du symptôme.

Une tâche interminable ?

Freud ne nie pas qu’une analyse puisse aboutir à une transformation réelle du sujet, mais il insiste : la cure ne vise pas à normaliser, ni à abolir le conflit psychique, ni à rendre le patient inoffensif, sans passion ni faille. Il y a toujours un reste, un point de butée, une opacité, et c’est ce reste qui signe l’inconscient.

Il reconnaît aussi que la subjectivité de l’analyste, ses propres points aveugles, ses failles, influencent la cure tout autant que la structure du patient. C’est pourquoi il affirme que l’analyste doit lui-même retourner régulièrement en analyse. Ce n’est qu’à cette condition qu’il peut garder sa place dans le transfert, sans s’identifier au savoir ou à une posture de maîtrise.

Un métier impossible

Freud conclut que l’analyse est, avec éduquer et gouverner, l’un des trois métiers « impossibles », dans lesquels on ne peut jamais garantir un plein succès. Cette impossibilité n’est pas un défaut à corriger, mais une dimension intrinsèque de l’expérience analytique. L’analyse ne promet pas une résolution totale, mais une traversée, au terme de laquelle un sujet peut inventer sa propre manière de faire avec ce qui ne guérit pas.


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