Dépression et faute : une lecture psychanalytique

Une articulation fondée par Lacan

Dans Télévision, Lacan établit une connexion majeure entre dépression et faute. Cette articulation, ancrée dans l’expérience analytique, prolonge son interrogation ancienne sur la « paranoïa d’autopunition » (sa thèse de 1932) et se développe pleinement dans L’Éthique de la psychanalyse. Il y propose deux voies freudiennes d’approche de la faute : d’une part le meurtre du père, événement mythique fondateur de la culture ; d’autre part, une faute plus obscure, inhérente à la pulsion de mort, ce noyau inassimilable de l’humain.

La faute, selon Lacan, ne se réduit pas à une transgression explicite. Elle relève souvent d’un écart entre le sujet et son désir, d’un renoncement, d’un recul face à un acte, que la clinique obsessionnelle exemplifie bien. Ce « céder sur son désir » est la faute silencieuse qui alimente la souffrance dépressive.


Le deuil et l’objet perdu

Lacan prolonge Freud en reformulant le deuil autour de l’objet a, restat d’un manque structurel. Mais l’expression « faire le deuil » s’est figée dans la langue commune, masquant les dimensions inconscientes du processus. La psychanalyse y voit moins une opération d’oubli qu’un remaniement du lien au manque, via la parole.

Or, la dépression surgit quand ce travail échoue, quand le sujet ne parvient ni à symboliser la perte, ni à se réapproprier la part de l’Autre qu’il y a investie. La dépression témoigne d’un échec de subjectivation de la perte, voire d’un rejet de toute signification possible.


Deux versants de la dépression

On peut distinguer deux formes majeures de dépression selon la structure sous-jacente :

  • Dans la psychose, notamment la mélancolie, le sujet est exclu de toute signification possible : il est forclos par l’Idéal du moi, hors-jeu symbolique. La dépression devient ici pure position d’abandon, sans recours ni médiation.
  • Dans la névrose obsessionnelle, la dépression apparaît comme l’effet d’un renoncement, d’un refus de passage à l’acte conforme au désir. Ce « pas d’acte » est souvent masqué par des justifications morales ou des rationalisations. L’exemple clinique de l’homme endeuillé, se sentant coupable après la mort de son père, illustre comment la culpabilité peut être déplacée, méconnue, interprétée à faux, et pourtant agissante.

La culpabilité : inconsciente mais agissante

Freud parlait de sentiment inconscient de culpabilité, formulation paradoxale. En réalité, le sentiment est conscient, mais la faute qu’il recouvre est déplacée, masquée, mal localisée. C’est sur ce désajustement entre la faute réelle et sa représentation que travaille l’analyse.

La dépression serait donc un affect sans parole, une culpabilité sans sujet, un état figé là où il aurait fallu une mise en discours. Pour que la dépression devienne analysable, elle doit être transformée en symptôme, c’est-à-dire devenir porteuse de sens, formation de compromis entre le désir et la loi.


Le rôle du transfert et du désir

La cure permet à l’analysant d’interroger sa part dans ce qui lui arrive, de déplacer la faute hors de l’autodéfinition rigide. Le transfert, souvent intense chez les sujets dépressifs ou en addiction, déplace la dépendance vers la relation analytique, ouvrant une nouvelle scène pour l’interrogation du désir.

C’est ce que Lacan formalise avec la maxime : « Ne pas céder sur son désir. » La dépression apparaît alors comme le signe d’un recul devant l’acte, d’un blocage dans l’assomption subjective. À l’inverse, des figures comme Antigone ou Œdipe à Colone incarnent une exaltation tragique qui assume le destin et la faute, sans compromis ni refoulement.


Le défaut de l’Autre

À la racine de la dépression se trouve souvent la croyance en un Autre consistant, garant ultime du sens. Quand cette instance est défaillante ou dénoncée comme illusion, surgit la dépression comme effet de vacillation symbolique. C’est l’effet du « Il n’y a pas d’Autre de l’Autre » : aucun lieu ne peut soutenir à la place du sujet ce qu’il refuse d’assumer.

La résolution analytique, loin de nier la faute, la requalifie. Elle restaure le sujet dans sa responsabilité, non pas coupable au sens moral, mais auteur de son lien au désir et à l’Autre.

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