Un énoncé central et déroutant
Lacan introduit au tournant des années 1970 une formule qui deviendra emblématique de son enseignement : « Il n’y a pas de rapport sexuel ». Loin d’un constat biologique ou d’un propos provocateur, il s’agit d’un énoncé structurant de sa théorie du sujet et de la jouissance. Par rapport sexuel, Lacan n’entend pas simplement l’union des corps, mais la possibilité d’un rapport symbolisable entre deux positions sexuées, rapport qui serait écrivable, formulable dans le langage. Or, ce rapport n’existe pas dans l’ordre du discours.
Du langage à la jouissance
Lacan joue sur l’équivoque du mot « rapport » : relation sexuelle d’une part, rapport logique d’autre part. C’est dans cette tension qu’il interroge la place du phallus, la castration symbolique, et l’inscription sexuée du sujet dans le langage. Il s’oppose à l’idée freudienne d’un « accord sexuel » possible, que Freud cherchait à penser, notamment à travers la question : Que veut une femme ?
Mais Lacan déjoue les illusions de complétude. Il rejette la fusion des corps comme visée de la cure, qu’il qualifie de pastorale analytique. La sexualité n’unit pas deux moitiés complémentaires. Chaque sujet jouit de son côté, sans que cela fasse lien symbolique.
L’échec du rapport, la fonction du phallus
Dans le Séminaire de l’Angoisse, Lacan observe que la jouissance de l’homme et celle de la femme ne se rejoignent pas naturellement : l’homme est coupé de son organe par la détumescence, la femme est confrontée à une jouissance énigmatique et insituable. Il y a sexualité, mais pas de rapport sexuel.
Cette disjonction est marquée par la fonction phallique, seul signifiant structurant les significations autour du sexe. Cette fonction, mathématisée dans les formules de la sexuation, relie non pas l’homme et la femme, mais le sujet parlant à sa jouissance.
L’animal et l’être parlant
Chez l’animal, la sexualité est régie par le signe, le programme biologique. Chez l’être parlant, c’est le discours – et non simplement le langage – qui détermine les positions sexuées. Le sujet humain jouit du signifiant, non de l’Autre. La différence des sexes est donc marquée par un malentendu structurel, que Lacan situe au cœur de l’hystérie.
L’écriture impossible du rapport
Lacan affirme que le rapport sexuel ne peut s’écrire : il n’y a pas de formule logique qui permette de dire xRy (un rapport entre deux termes sexués). Ce vide structural est compensé par des mythes, des fantasmes, et des constructions imaginaires. Mais aucun discours n’échappe au semblant : toute tentative de dire la relation sexuelle est une fiction.
Vers une loi sexuelle
Plutôt qu’un rapport, Lacan introduit une « loi sexuelle », structurée par la fonction phallique, qui révèle l’asymétrie fondamentale entre les deux sexes. Cette loi ne repose pas sur une complémentarité, mais sur une disjonction : il n’y a pas de femme toute dans le discours. D’où la formule : « La femme n’existe pas » – pas d’universel du côté féminin, seulement des femmes, toujours singulières.
Conclusion : la castration comme condition du désir
La castration symbolique, loin d’être une perte anatomique, est la condition même du désir : c’est le manque qui rend possible la relance du désir. Le phallus, pris comme fonction et non comme organe, organise la sexuation sans jamais la totaliser.
Lacan invite ainsi à penser le sexe non comme donné biologique, mais comme position subjective dans le langage, traversée par la castration, le désir et la jouissance. Il n’y a pas de rapport sexuel parce que le langage ne permet pas d’écrire une relation symétrique entre les sexes : il n’y a que du désaccord structurant, du ratage fondateur, du manque productif.